Sur les bords de la Bérézina...

Publié le par Nicolas

"Sur les bords de la Bérézina par 28 degrés de froid. Fatigué de la marche, je m’étais assis sur un tronc d’arbre, à côté d’un beau canonnier récemment blessé. Deux officiers de santé vinrent à passer; je les priai de visiter sa blessure. Au premier aperçu, il dirent Il faut faire l’amputation du bras. Je demandai alors au canonnier s’il serait disposé à la supporter. Tout ce qu’on voudra, répondit-il fièrement. Mais dirent les officiers de santé, nous ne sommes que deux; il faudrait, M. le général, pour opérer cet homme, que vous eussiez la bonté de nous aider. Et voyant que leur proposition me souriait fort peu, ils se hâtèrent d’ajouter qu’il suffirait que je permisse au canonnier de s’appuyer sur mon dos pendant l’opération, que je ne verrais pas. Alors, j’y consentis; je me mis en posture, et je crois que cela me parut plus long qu’au patient lui-même. Les officiers de santé ouvrirent leur giberne ; le canonnier ne proféra ni une parole, ni un soupir; je n’entendis un moment que le petit bruit de la scie, et, peu de secondes ou de minutes après, il me dirent: C’est fini ! Nous regrettons de n’avoir pas un peu de vin à lui donner à boire pour le remettre de l’émotion. Il me restait une demi-fiole de malaga, que je ménageais en n’y touchant de loin en loin, que goutte à goutte. Je la présentai à l’amputé, qui était pâle et silencieux. Ces yeux aussitôt s’animèrent, et, tout d’un trait, il me la rendit complètement vide. Puis en me disant: J’ai encore loin d’ici à Carcassonne, il partit d’un pas ferme que j’aurais eu peine à suivre."

Source: "Mémoires du général Lejeune"

Publié dans Anecdotes

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